La dernière " Invention de la Sainte-Croix "
En présentant, à l'échelle un, astucieusement démontée,
l'intégralité de l'instrument du supplice infâmant ,Jean
Michel Petit donne le coup de grâce au culte des reliques, aux spéculations
sur les faux bouts de la vraie croix ou les vrais bouts de la fausse croix.
L'icône sacrée se réduit à une marque " déposée
", celle de l'artiste concepteur, Cimabue, Grünewald, Dali ; un
jeu sur les mots ramenant la " déposition "du crucifié
à la mise au sol du support du sacrifice. L'objet ainsi démystifié,
dont la déconstruction rend la reconnaissance délicate, qui
retrouve l'espace et le volume, pourrait s'assimiler à une sculpture
.Mais cette lecture serait par trop réductrice et l'associerait à
un domaine qui n'est pas le sien. Le travail de Jean Michel Petit s'apparente
au jeu ; il fait appel à l'aléatoire, à la combinatoire.
La croix livrée en kit, avec plan de montage du stipes , le poteau,
le pieu, avec le patibulum , la traverse, inviterait -elle le spectateur à
un " crucifiez vous sans peine ", renouvelant ainsi la mode des
tableaux vivants ?
C'est pourtant d'une manière toute ludique et légère que l'artiste va nous inviter à gravir le Golgotha .Car, paradoxalement, dans cette dissection de la Passion, l'organique est absent. La chair si manifeste et pathétique chez Grunenwald, le corps du supplicié qui attire et concentre les regards, le sujet même du tableau est occulté Ainsi, dans ses interventions antérieures, le corporel s'avère également absent : pas d'Ange Gabriel dans les Annonciations, pas de Vierge dans les Fuites en Egypte ; les scènes sont réduites à des vignettes signalétiques .Une des rares présences humaines est celle d'un militaire, en tenue de camouflage, absorbé, dilué dans une " Peinture de paysage " Cette mise à distance du vivant, du réalisme, de l'expressif , se ressent comme une appréhension du charnel surmontée par une curiosité tatillonne et exacerbée.
.Au-delà de l'organisation formelle du tableau, des jeux de plans, des perspectives, Jean Michel Petit cherche à savoir " comment et en quoi c'est fait " ; il s'improvise menuisier, jardinier, carreleur, céramiste, peintre ! Génial bricoleur, il démonte ses jouets pour en aligner les pièces, les inventorier, les remonter et les assembler à sa guise.
Le Golgotha du philatéliste
La gravure est l'un des supports privilégiés de ses reconstitutions. Il retrouve là une forme traditionnelle qu'il affectionne où par des techniques soignées et abouties, il synthétise ses recherches. De rigoureuses planches encyclopédiques où se côtoient l'estampage, le collage, la gravure, maintiennent et renouvellent l'usage des tirages limités. La méticulosité apportée aux supports, aux encadrements, parachève la rigueur raffinée des ensembles. Tout en étant des objets finis, ces séries sont des répertoires, des réserves ou l'artiste-archiviste s'autorise à puiser pour réactualiser, revivifier, recomposer ses thèmes et ses motifs de prédilections. La diversité des moyens de traitements de l'image, la maîtrise et l'association des techniques modernes et traditionnelles permettent à Jean Michel Petit de dominer ses réalisations, de les manipuler. Le tableau d'autel se comprime en un timbre poste, les dessins à la plume s'échappent de leur support, gravitent dans la troisième dimension et, étranges aérolithes, viennent s'inscrire en fresques monumentales sur la blancheur des cimaises. Ces passages du micro au macro, du plan au volume, de l'image à l'environnement, entraînent le spectateur dans une plaisante et planante ambiguïté.
Les dieux de l'Olympe et leurs attributs pourtant omniprésents
dans la peinture occidentale n'ont pas eu les faveurs de Jean Michel Petit.
Son choix d'une iconographie inspirée du Nouveau
Testament n'est pas la résurgence d'une dévotion refoulée
mais la fixation sur une imagerie familière, populaire, voire hexagonale.
Les chemins de croix, les crucifix, les calvaires rustiques, les fabriques-abrits
de jardins, les parterres de fleurs, acquièrent par la maîtrise
artistique et l'alchimie technologique leurs lettres de " noblesse ",
qualificatif qui introduit une dichotomie incontournable dans l'esprit français,
le civil et le religieux. Ce dernier registre suffisamment illustré,
Jean Michel Petit va maintenant arpenter les allées du classicisme
français. Il va pouvoir tirer pleinement profit de sa formation initiale
et se consacrer à l'étude de constructions paysagères
d'envergure.
Malaise dans un jardin français
.Ne pouvant se départir de l'esprit de rigueur, c est sur les jardins
à la française qu'il veut exercer ses capacités d'illustrateur
et de metteur en scène .Il établit les plans de parterres à
compartiments et broderies en dessinant des vues cavalières à
l'encre blanche et à la mine de plomb. Il utilise les ressources de
la perspective, les effets des trompe-l'il, les compartimentages, les
topiaires pour dresser un " parterre mural " Cette dénomination
paradoxale est le premier indice d'une ambiguïté sous-jacente
qui vient perturber les rigueurs de la symétrie. Les granules homéopathiques
de buis qui servent à réaliser le parterre de broderies font
se télescoper le fond avec la forme, le sens avec l'essence. Cette
concentration excitante, voire agaçante, pour un esprit cartésien
déstabilise ces trop parfaits ordonnancements .Les dessins " homéopathiques"
ou- un comble- à l'encre blanche, qui s'estompent directement sur les
cimaises, les céramiques qui s'évanouissent dans la perspective,
provoquent une saturation de blancheur qui confine au comateux. Les tracés
géométriques, les vues axonométriques perdent de leur
netteté pour devenir les visions d'une époque révolue,
les vestiges d'une Arcadie de nos mémoires.
Alors que Jean Michel Petit s'est attaché, dans ses crucifixions,
à évacuer le pathétique, le malaise sourd de ses fantaisies
paysagéres.L'équanimité des traitements provoque un paradoxal
renversement. L'application rigoureuse d'une variété de mode
d'interventions cerne le spectateur, lui fait perdre ses repères et
le déstabilise. Pas de figure dans le tableau sinon la sienne.
Esprit calculateur, l'artiste se révèle à nouveau en
manipulateur qui nous piège dans de savants jeux de construction. Ultime
illusion, Il va jusqu'à nous inviter à une véritable
mais bien vaine partie de dés sur un bouclier, avec les soldats peints
au pieds d'un calvaire de Mantegna.
Gérard LAPALUS
Judicieusement située dans le paysage classique -accolée à un rocher au détour d'un chemin, près de vertes frondaisons - la " fabrique " sert depuis le XVIIIe siècle à structurer la composition picturale. Elément, parmi d'autres, d'une codification complexe, ces petits bâtiments aux réminiscences gréco-romaines (colonnes doriques, corinthiennes et frontons) n'ont pas de fonction architecturale logique ; en revanche, ils représentent souvent une masse claire qui attire le regard du spectateur. Si plusieurs fabriques s'inscrivent dans le paysage, un sens de lecture sera induit de la plus proche à la plus lointaine.
Depuis 1989, J. M. PETIT ne cache pas son goût pour une érudition classique. Se penchant sur l'histoire de l'art, aussi bien dans des ouvrages que dans des musées, il a su choisir des thématiques fondatrices de l'évolution de la peinture en Occident. Iconographie religieuse, conquête du réalisme dans les pays septentrionaux, goût pour le tracé net et synthétique au Sud des Alpes, recherches sur la perspective -atmosphérique au Nord, linéaire, géométriquement calculée dans la sphère d'influence méridionale-, sont autant d'éléments connus et pris en compte dans la démarche ici exposée.
La technique utilisée relève d'une sorte d'universalité Le papier devient, le plus souvent, support d'un graphisme précis, traité à la plume et à l'encre de Chine noire. Des transferts de couleurs, viennent parfois agrémenter les compositions. La " neutralité " affichée des encyclopédies -depuis celle de Dalembert jusqu'aux messageries du Web, en passant par la somme de Pierre Larousse -se retrouve dans les travaux de J. M. PETIT.
Mais tentons d'analyser ce qui fait uvre chez notre auteur. Tout d'abord le " catalogue "- qui ne lui appartient d'ailleurs pas en propre- prend une dimension quasi maniaque. Trouver l'iconographie adéquate, celle qui pourra se plier à son projet, fait partie intégrante de son travail. Cette quête intentionnée, lorsqu'elle est couronnée de succès fait l'objet de classements et d'interprétations dont la subjectivité et plus exactement la sensibilité spécifique de l'artiste, deviennent les facteurs consécutifs d'une interprétation tout à fait originale.
Ainsi un processus de mise en abîme se développe-t-il sur deux chemins parallèles : celui de la facture graphique soit disant neutre et référencée (nous retrouvons encore les planches de la Grande Encyclopédie ) et celui du sujet qui, du modèle passe par le dessin (voire la photographie retouchée ou l'ordinateur) et aboutit ou plutôt " s'incarne " dans la banalisation que constitue la gravure. Cette redondance de la distanciation est à penser par le spectateur comme un artefact. Ce dispositif, qui tend à gommer un choix, une sensibilité, multiplie en fait ces deux facteurs.
Le concept s'affirme donc avec force dans la démarche de J. M. PETIT. D'uvres en uvres, la matérialisation de l'idée prend le statut de vérification d'une hypothèse par le dessin, le photomontage ou la sculpture. L'idée trouve sa place sur la page dans un contexte immatériel ; les sept fabriques ont perdu leur environnement, sont neutralisées dans leurs proportions, unifiées par le graphisme et disposées sans hiérarchie ou chronologie, de façon quasi aléatoire, sur la page. Aucune ne peut et ne doit être privilégiée dans le système de représentation. Quant à la toute récente série de l'Herbier de fleurs de lys, si elle est porteuse du désir de taxinomie inhérent à la démarche de J. M. PETIT, il faut aussi y voir une dimension ludique. Laissons le soin de conclure à un grand amateur de cette démarche -il l'a montrée à plusieurs occasions-, Serge Graziani : " Reste que notre artiste, malgré l'utilisation d'une matière séduisante à l'il, pratique un genre 'intervention où la nuance, le glissement du sens d'une catégorie à une autre, l'allusion implicite, renvoie finalement à l'univers subtil de la peinture entendue comme la représentation des idées, bien qu'il en critique les conventions. Avec J. M. PETIT, force est de constater que nous sommes en présence d'une uvre essentiellement intellectuelle requérant quelques bagages et une certaine gymnastique chez celui qui regarde (mais ne devrait-ce pas être la règle ), ce qui dénote aussi malgré tout un certain désenchantement devant la tournure prise par le cours de l'histoire ; c'est pour cela qu'il nous faut encore des musées imaginaires ".
Marie LAPALUS.
Entendre d'abord un désir
comme une petite musique de nuit
Remarquer ensuite
quelque chose de personnel
quelque chose de fragile
quelque chose d'ambitieux
quelque chose d'inconnu
de l'artiste
Passer ensuite du temps avec lui
dans son atelier
dans sa cuisine
à l'improviste
en ayant rendez-vous
Attendre
lui parler
rire
l'écouter
boire un coup
Voir le chemin, la démarche ; derrière le rire, l'exigence
Parfois la vraie rencontre avec lui, avec son uvre, arrive vite
Parfois il faut une exposition, un livre, un travail particulier
quelques années
Etre prêt
Regarder
Attendre
Quand l'uvre se lève comme disaient les Goncourt des peintures
de Chardin
Observer le plus profond silence
Etre heureux, le montrer
En parler à d'autres
l'aider dans des projets, des commandes
Soutenir sa création
Quand votre conviction est réelle, quand votre soutien est constant
quand votre présence est légère
Il s'en rend compte
Il continue
une autre uvre voit le jour
et il y écrit son nom
A Jean-Michel Petit
Nane Tissot
23 mars 2009
Inspiré de Jacques Prévert, Pour faire le portrait d'un oiseau
in Paroles, Gallimard, 1949