Le feu s'est malencontreusement imposé dans les savantes et subtiles compositions de Jean Michel Petit. Cet élément irrépressible et radical des autodafés aurait servi à renouveler les violences iconoclastes. Quatorze chiffres romains, construits en un dérisoire et pathétique bûcher d'allumettes - indices du délit ?- stigmatisent, dés le carton d'invitation, la fureur néronienne qui s'est acharnée sur les représentations de la Passion du Christ.
Mais cette dénonciation devient une incitation à emprunter, allégrement, un nouveau " Chemin de Croix ", à paisiblement " stationner " quatorze fois afin d'atteindre en toute sérénité un Golgotha " dépassionné ". Paradoxalement, du feu dévorant, de l'ignition, que le Nouveau Testament n'illustre guère et que parait contrecarrer le travail de Jean Michel Petit va, tel un phénix, renaître l'œuvre détruite.
s'en remettre à Dieu. De sa formation scientifique, il a conservé et entretenu le goût de l'observation, de la classification, de la compilation.Il aime à recenser, à collationner mais évitant les débordements encyclopédiques à la " Bouvard et Pécuchet ", il va assouvir sa rigueur inquisitrice dans l'histoire de l'art et, incongrûment pour un esprit agnostique, se captiver pour l'iconographie religieuse.Vont ainsi se succéder,sous la loupe de l'entomologiste, sur les planches de l'herborisateur, dans les fichiers de l'informaticien, sous l'objectif du photographe, avec le scalpel du graveur et la mine de plomb du dessinateur, les maîtres de l'art ancien,ceux de la peinture flamande et italienne. Il s'attache au domaine du religieux codifié : les nativités, les annonciations, les fuites en Egypte, les crucifixions…Par la science et la technique, il défait les chef-d'œuvres, il neutralise les images de dévotions .Les flux cathodiques assaillent le catholique et en désacralisent le symbole fondamental, la croix.

La dernière " Invention de la Sainte-Croix "
En présentant, à l'échelle un, astucieusement démontée, l'intégralité de l'instrument du supplice infâmant ,Jean Michel Petit donne le coup de grâce au culte des reliques, aux spéculations sur les faux bouts de la vraie croix ou les vrais bouts de la fausse croix. L'icône sacrée se réduit à une marque " déposée ", celle de l'artiste concepteur, Cimabue, Grünewald, Dali ; un jeu sur les mots ramenant la " déposition "du crucifié à la mise au sol du support du sacrifice. L'objet ainsi démystifié, dont la déconstruction rend la reconnaissance délicate, qui retrouve l'espace et le volume, pourrait s'assimiler à une sculpture .Mais cette lecture serait par trop réductrice et l'associerait à un domaine qui n'est pas le sien. Le travail de Jean Michel Petit s'apparente au jeu ; il fait appel à l'aléatoire, à la combinatoire. La croix livrée en kit, avec plan de montage du stipes , le poteau, le pieu, avec le patibulum , la traverse, inviterait -elle le spectateur à un " crucifiez vous sans peine ", renouvelant ainsi la mode des tableaux vivants ?

C'est pourtant d'une manière toute ludique et légère que l'artiste va nous inviter à gravir le Golgotha .Car, paradoxalement, dans cette dissection de la Passion, l'organique est absent. La chair si manifeste et pathétique chez Grunenwald, le corps du supplicié qui attire et concentre les regards, le sujet même du tableau est occulté Ainsi, dans ses interventions antérieures, le corporel s'avère également absent : pas d'Ange Gabriel dans les Annonciations, pas de Vierge dans les Fuites en Egypte ; les scènes sont réduites à des vignettes signalétiques .Une des rares présences humaines est celle d'un militaire, en tenue de camouflage, absorbé, dilué dans une " Peinture de paysage "…Cette mise à distance du vivant, du réalisme, de l'expressif , se ressent comme une appréhension du charnel surmontée par une curiosité tatillonne et exacerbée.

.Au-delà de l'organisation formelle du tableau, des jeux de plans, des perspectives, Jean Michel Petit cherche à savoir " comment et en quoi c'est fait " ; il s'improvise menuisier, jardinier, carreleur, céramiste,…peintre ! Génial bricoleur, il démonte ses jouets pour en aligner les pièces, les inventorier, les remonter et les assembler à sa guise.


Le Golgotha du philatéliste

La gravure est l'un des supports privilégiés de ses reconstitutions. Il retrouve là une forme traditionnelle qu'il affectionne où par des techniques soignées et abouties, il synthétise ses recherches. De rigoureuses planches encyclopédiques où se côtoient l'estampage, le collage, la gravure, maintiennent et renouvellent l'usage des tirages limités. La méticulosité apportée aux supports, aux encadrements, parachève la rigueur raffinée des ensembles. Tout en étant des objets finis, ces séries sont des répertoires, des réserves ou l'artiste-archiviste s'autorise à puiser pour réactualiser, revivifier, recomposer ses thèmes et ses motifs de prédilections. La diversité des moyens de traitements de l'image, la maîtrise et l'association des techniques modernes et traditionnelles permettent à Jean Michel Petit de dominer ses réalisations, de les manipuler. Le tableau d'autel se comprime en un timbre poste, les dessins à la plume s'échappent de leur support, gravitent dans la troisième dimension et, étranges aérolithes, viennent s'inscrire en fresques monumentales sur la blancheur des cimaises. Ces passages du micro au macro, du plan au volume, de l'image à l'environnement, entraînent le spectateur dans une plaisante et planante ambiguïté.

Les dieux de l'Olympe et leurs attributs pourtant omniprésents dans la peinture occidentale n'ont pas eu les faveurs de Jean Michel Petit. Son choix d'une iconographie inspirée du Nouveau
Testament n'est pas la résurgence d'une dévotion refoulée mais la fixation sur une imagerie familière, populaire, voire hexagonale. Les chemins de croix, les crucifix, les calvaires rustiques, les fabriques-abrits de jardins, les parterres de fleurs, acquièrent par la maîtrise artistique et l'alchimie technologique leurs lettres de " noblesse ", qualificatif qui introduit une dichotomie incontournable dans l'esprit français, le civil et le religieux. Ce dernier registre suffisamment illustré, Jean Michel Petit va maintenant arpenter les allées du classicisme français. Il va pouvoir tirer pleinement profit de sa formation initiale et se consacrer à l'étude de constructions paysagères d'envergure.

Malaise dans un jardin français
.Ne pouvant se départir de l'esprit de rigueur, c est sur les jardins à la française qu'il veut exercer ses capacités d'illustrateur et de metteur en scène .Il établit les plans de parterres à compartiments et broderies en dessinant des vues cavalières à l'encre blanche et à la mine de plomb. Il utilise les ressources de la perspective, les effets des trompe-l'œil, les compartimentages, les topiaires pour dresser un " parterre mural " Cette dénomination paradoxale est le premier indice d'une ambiguïté sous-jacente qui vient perturber les rigueurs de la symétrie. Les granules homéopathiques de buis qui servent à réaliser le parterre de broderies font se télescoper le fond avec la forme, le sens avec l'essence. Cette concentration excitante, voire agaçante, pour un esprit cartésien déstabilise ces trop parfaits ordonnancements .Les dessins " homéopathiques" ou- un comble- à l'encre blanche, qui s'estompent directement sur les cimaises, les céramiques qui s'évanouissent dans la perspective, provoquent une saturation de blancheur qui confine au comateux. Les tracés géométriques, les vues axonométriques perdent de leur netteté pour devenir les visions d'une époque révolue, les vestiges d'une Arcadie de nos mémoires.

Alors que Jean Michel Petit s'est attaché, dans ses crucifixions, à évacuer le pathétique, le malaise sourd de ses fantaisies paysagéres.L'équanimité des traitements provoque un paradoxal renversement. L'application rigoureuse d'une variété de mode d'interventions cerne le spectateur, lui fait perdre ses repères et le déstabilise. Pas de figure dans le tableau sinon la sienne.
Esprit calculateur, l'artiste se révèle à nouveau en manipulateur qui nous piège dans de savants jeux de construction. Ultime illusion, Il va jusqu'à nous inviter à une véritable mais bien vaine partie de dés sur un bouclier, avec les soldats peints au pieds d'un calvaire de Mantegna.

Gérard LAPALUS

Jean-Michel PETIT

Judicieusement située dans le paysage classique -accolée à un rocher au détour d'un chemin, près de vertes frondaisons…- la " fabrique " sert depuis le XVIIIe siècle à structurer la composition picturale. Elément, parmi d'autres, d'une codification complexe, ces petits bâtiments aux réminiscences gréco-romaines (colonnes doriques, corinthiennes et frontons) n'ont pas de fonction architecturale logique ; en revanche, ils représentent souvent une masse claire qui attire le regard du spectateur. Si plusieurs fabriques s'inscrivent dans le paysage, un sens de lecture sera induit de la plus proche à la plus lointaine.

Depuis 1989, J. M. PETIT ne cache pas son goût pour une érudition classique. Se penchant sur l'histoire de l'art, aussi bien dans des ouvrages que dans des musées, il a su choisir des thématiques fondatrices de l'évolution de la peinture en Occident. Iconographie religieuse, conquête du réalisme dans les pays septentrionaux, goût pour le tracé net et synthétique au Sud des Alpes, recherches sur la perspective -atmosphérique au Nord, linéaire, géométriquement calculée dans la sphère d'influence méridionale-, sont autant d'éléments connus et pris en compte dans la démarche ici exposée.

La technique utilisée relève d'une sorte d'universalité Le papier devient, le plus souvent, support d'un graphisme précis, traité à la plume et à l'encre de Chine noire. Des transferts de couleurs, viennent parfois agrémenter les compositions. La " neutralité " affichée des encyclopédies -depuis celle de Dalembert jusqu'aux messageries du Web, en passant par la somme de Pierre Larousse -se retrouve dans les travaux de J. M. PETIT.

Mais tentons d'analyser ce qui fait œuvre chez notre auteur. Tout d'abord le " catalogue "- qui ne lui appartient d'ailleurs pas en propre- prend une dimension quasi maniaque. Trouver l'iconographie adéquate, celle qui pourra se plier à son projet, fait partie intégrante de son travail. Cette quête intentionnée, lorsqu'elle est couronnée de succès fait l'objet de classements et d'interprétations dont la subjectivité et plus exactement la sensibilité spécifique de l'artiste, deviennent les facteurs consécutifs d'une interprétation tout à fait originale.

Ainsi un processus de mise en abîme se développe-t-il sur deux chemins parallèles : celui de la facture graphique soit disant neutre et référencée (nous retrouvons encore les planches de la Grande Encyclopédie…) et celui du sujet qui, du modèle passe par le dessin (voire la photographie retouchée ou l'ordinateur) et aboutit ou plutôt " s'incarne " dans la banalisation que constitue la gravure. Cette redondance de la distanciation est à penser par le spectateur comme un artefact. Ce dispositif, qui tend à gommer un choix, une sensibilité, multiplie en fait ces deux facteurs.

Le concept s'affirme donc avec force dans la démarche de J. M. PETIT. D'œuvres en œuvres, la matérialisation de l'idée prend le statut de vérification d'une hypothèse par le dessin, le photomontage ou la sculpture. L'idée trouve sa place sur la page dans un contexte immatériel ; les sept fabriques ont perdu leur environnement, sont neutralisées dans leurs proportions, unifiées par le graphisme et disposées sans hiérarchie ou chronologie, de façon quasi aléatoire, sur la page. Aucune ne peut et ne doit être privilégiée dans le système de représentation. Quant à la toute récente série de l'Herbier de fleurs de lys, si elle est porteuse du désir de taxinomie inhérent à la démarche de J. M. PETIT, il faut aussi y voir une dimension ludique. Laissons le soin de conclure à un grand amateur de cette démarche -il l'a montrée à plusieurs occasions-, Serge Graziani : " Reste que notre artiste, malgré l'utilisation d'une matière séduisante à l'œil, pratique un genre 'intervention où la nuance, le glissement du sens d'une catégorie à une autre, l'allusion implicite, renvoie finalement à l'univers subtil de la peinture entendue comme la représentation des idées, bien qu'il en critique les conventions. Avec J. M. PETIT, force est de constater que nous sommes en présence d'une œuvre essentiellement intellectuelle requérant quelques bagages et une certaine gymnastique chez celui qui regarde (mais ne devrait-ce pas être la règle…), ce qui dénote aussi malgré tout un certain désenchantement devant la tournure prise par le cours de l'histoire ; c'est pour cela qu'il nous faut encore des musées imaginaires ".

Marie LAPALUS.

Meurtre en scierie.
Il est rare de voir un artiste s’attaquer au genre pictural avec les outils du bûcheron ; balancer la
cognée dans un fourré pour la dissimuler ne suffit pas à calmer le sentiment de brutalité qui
nous envahit quand on découvre, gisant au sol, une succession de troncs, de bûches, de
branches ou de poutres grossièrement équarries comme au sortir de la scierie.
Un doute nous saisit pourtant, quand on remarque aux murs de la galerie les dizaines de dessins
de croix réalisés au fusain à l’échelle un.
On se prend à reconnaître ces « kits » pour leur appartenance à l’histoire de l’art et à la
constitution initiale des oeuvres dessinées, elles-mêmes, ébauches de tableaux célèbres.
Il s’agit bien de «prêts-à-monter», de croix allongées dans un désordre parfaitement organisé
pour nous persuader de les assembler, pour vérifier nos spéculations.
Évocation de la forêt, des taillis où gisent assassinés, branches et membres tendus, des corps de
suppliciés.
Dali, Gauguin sont certainement parmi les plus connus du public, Mantegna, Grünewald,
Cimabue et quelques autres plus reconnaissables par les vrais amateurs.
Ces “crucifixions déposées ” nous interrogent à propos d’un rapport étrange, inhabituel, créé
sciemment (!) par un artiste, entre le matériau brut et ces dessins qui nous éclairent sur une
relation possible avec la peinture.
Doublement éclairés nous le sommes, puisque le fusain est produit par combustion du bois.
Les dessins au mur sont réalisés dans une technique propre aux encyclopédistes. Condition
métaphorique, forme d’ignition dans la représentation voilà qui évoque un emprunt, celui qui
s’est opéré à l’insu des artistes ici convoqués.
Ces kits nous parlent de fabrication, si ce n’est de la peinture en tout cas de celle de l’objet qui
a permis aux artistes, en leur temps, de nous faire basculer au coeur de leur oeuvre, dans leur
camp.
Le chevalet est la figure centrale du supplice, le Christ en est le patient, la victime ; point de
crucifixion sans la croix !
Jean-Michel Petit a choisi d’élaborer cette exposition en artiste manipulateur. Inventeur de
stratagèmes, il nous conduit par strates successives vers une confrontation avec le complexe
judéo-chrétien que nous entretenons de façon collective et le plus souvent à notre insu, vis-àvis
de la mort du Christ.
Par le biais de cette exposition, Jean-Michel Petit révèle la lucidité totale et globale dont font
preuve les artistes qui ont peint ces crucifixions.
Il nous renseigne sur l’exacte et consciente responsabilité qu’ils ont dû assumer en concevant
chaque fois le chevalet du supplice.
Gauguin choisit prosaïquement deux planches abandonnées là comme au bord d’un chantier,
Grünewald dresse une composition extatique et dramatisée de poutres et de troncs, Dali
conçoit une croix cubiste en trois dimensions, Cimabue construit un “meuble” qui déplace
délibérément la crucifixion vers l’espace intérieur celui de la cathédrale, demeure par excellence
de la sphère du privé dans le domaine social.
Si Jean-Michel Petit est doté d’une personnalité complexe, sa destinée l’est autant (sans rire).
Il fait partie de cette petite communauté d’artistes qui ont vu, il y a quelques années,
disparaître leurs oeuvres en fumée.
Un jour, peut-être une nuit ? Le F.R.A.C Corse a brûlé.
Les volutes de cet autodafé ont piqué les yeux de certains, peut-être en ont-ils même pleuré ?
Une nouvelle fois, les illusions sont parties en fumée avec la belle collection. Jean-Michel Petit
en a éprouvé une vraie colère intérieure, pour l’éteindre il lui a mis le feu !
En l’occurrence pour rendre hommage aux oeuvres disparues, Jean-Michel Petit a concocté un
chemin de croix composé d’allumettes brûlantes (ici repris sur la couverture de ce catalogue).
Cette évocation violente, mais très humoristique des incendiaires, restera ironiquement liée au
thème des vanités, chères à la Renaissance !
Jean-Michel Petit, bûcheron ? Certainement pas !
Essayons plutôt menuisier pour Dali ou ébéniste à l’égart de Cimabue pour qui il reconstruit
une croix-mobilier.
Parfois, il devient scieur de long pour se débarrasser de ceux qui font de l’ombre à son potager.
Son regard posé sur le lointain ne laisse rien présager de bon…
Il se répète inlassablement la phrase fameuse de Brancusi “ il ne pousse rien à l’ombre des
grands arbres “.
Meurtre dans un jardin homéopathique
Dès la première exposition de ses oeuvres, s’est présenté au public une série de difficultés
inattendues : lire des cartels écrits en latin, explorer des référents que l’on semble reconnaître et
qui pourtant établissent un décalage entre ce qui paraît être l’original (l’histoire de l’art) et les
domaines d’activités supposées de l’artiste.
La botanique, l’architecture qu’elle soit militaire, religieuse ou profane, les technologies de la
construction et de l’assemblage ainsi que la peinture du trecento et du quattrocento en Italie ou
en Flandres sont pour Jean-Michel Petit, autant un monde de fascinations que de conjectures.
Jean-Michel Petit opère comme un limier menant une enquête. Procédant par étapes
successives à partir d’un premier indice, il accumule les informations, se documente, soumet au
regard scientifique ses hypothèses.
De la bibliothèque au musée, il fréquente assidûment les oeuvres de Diderot, Rousseau, Linné,
Vitruve aussi bien que celles de Hamilton-Finlay, Gette, Sarkis, Buren ainsi que celle de
Masaccio, Piero de La Francesca, Giotto, Cimabue, Le Tintoret, Fra Angelico, Le Bernin,
Rubens, Poussin, Mantegna, la liste n’est toujours pas close…
Sur le chevet de ses nuits blanches, les Encyclopédistes lui offriront matière à réflexions : la
nature, la philosophie et les paradigmes d’une société dont les mythes sont en pleine
(d)ébauche, lui inspirent un panthéon d’oeuvres dont le qualificatif “expérimentales” n’est
qu’un doux euphémisme.
Il n’est pas anodin de savoir aussi, qu’avant des études artistiques, Jean-Michel Petit avait
fréquenté la section botanique d’un lycée agricole ; d’où un goût très pronnoncé pour la
nomination des espèces végétales et un penchant non moins certain pour des manipulations
dont la génétique et la genèse ne sont pas exclues.
Cette approche est déjà en gestation lors de sa première exposition personnelle en 1989, à la
micro-galerie des Beaux-Arts de Mâcon.
Jean-Michel Petit dispose à même le sol de la galerie, des dizaines de rangées de porteétiquettes
de botanique en acier galvanisé.
Chaque latte du parquet en chêne reçoit ces étranges enseignes portant la mention, Quercus
robur suivi du nom du descripteur K.v. Linné.
À plusieurs reprises lors d’expositions ultérieures et sous des formes relativement semblables,
il déclinera cette interrogation / affirmation de façon répétitive :
- Alignements de chevets en forme de parade militaire, les plaques de marbre qui constituent le
plateau sont gravées d’inscriptions latines :
Juglans regia, pour le noyer
Abies alba, pour le sapin
Populus tremula, pour le peuplier.
- Cheminées monumentales gravées sur l’appui du manteau où figurent les noms latins des bois
de chauffage en usage dans la région :
Quercus robur, pour le chêne,
Carpinus betulus, pour le charme
Fraxinus excelsior, pour le frêne dans cette partie sud de la Bourgogne.
L’installation est une solution contemporaine qui s’imposera progressivement à l’artiste plus
pour l’aspect incontournable des valeurs nées du séisme formel de l’Abstraction et du
Cubisme, que pour la simplicité de la mise en oeuvre ou pour la dimension triomphante de
l’inflation formelle qu’elle suppose.
Jean-Michel Petit retient essentiellement de ces valeurs leurs capacités à synthétiser de façon
non hiérarchisée un nouveau rapport au monde qui détermine la production de pièces libérées
du poids des attendus, des dogmes, au profit d’objets délicats qui entrecroisent des débats au
sein même de leur constitution.
Les objectifs progressivement mis en crise sont la peinture et la galerie dans une série de jeux
qui ont comme prétextes, le motif floral, les végétaux, les sous-bois.
Jean-Michel Petit invite en 1987, un membre des commandos à réaliser des peintures de
camouflages pour une exposition singulière dans une galerie en forêt.
Soldat au visage bouchonné de suie, treillis camouflage, tableaux, sont devenus invisibles dans
ce site où le motif végétal envahit le rétinien.
La surabondance, la redondance, l’entropie sont énoncées comme une guerre en cours du
visuel, contre la conscience.
Plus tard, ce pattern du camouflage sera repris pour évoquer dans un hommage humoristique à
Paul Cézanne, la capacité qu’a notre société de reconvertir les oeuvres d’art en de purs objets
de consommation et de fascination.
La fameuse série des toiles de “La Sainte Victoire” est patronnée en treillis camouflages
directement taillés dans les tableaux de Cézanne, nouvelle boutade militaire dans le titre : “La
Sainte Victoire en Chantant ”.
Jean-Michel Petit manifeste autant de méfiance face aux clichés, que d’autorité à les convoquer
pour en démonter les ressorts.
Nulle complaisance ni condescendance devant les oeuvres peintes par les plus grands maîtres
de l’art flamand ou italien. Peut-être même peut-on noter une certaine irrévérence face au
caractère inaltérable des modèles ?
Le thème des “Fuites en Egypte” lui fournit une occasion rêvée de massacrer notre innocente
crédulité, voire notre conformisme intellectuel.
En 1991, Jean-Michel Petit dispose à même le mur de la galerie Verney Carron une série de
sept reproductions de fuites en Egypte ; toutes sont au format A3, elles sont encadrées comme
de véritables oeuvres, la photocopie couleur ne laisse ici aucun doute quant à la nature modeste
de la proposition.
Reprenant le principe de la prédelle, l’artiste tamponne au trichloréthylène sous chaque tableau
les cartes Michelin correspondant aux lieux où ont été peints les tableaux proposés.
Effet étonnant de marbre polychrome veiné de rouge, de vert, de brun, de jaune, les cartes ainsi
traitées révèlent un pictorialisme insoupçonné pour qui n’a jamais pris le temps d’un recul, le
regard un brin myope, pour consulter les plis des cartes n° du côté de Sienne ou n° pour
Gand.
S’apercevoir enfin dans cette galerie que les paysages d’Egypte sont tous peints là, dans
l’atelier de chaque artiste, face à un paysage familier et comprendre que dans cette de cette
époque, l’exotisme peut encore attendre…
Cette traversée de l’histoire de l’Art est peut être à envisager sous l’angle du rapport
d’interdépendance qu’elle suggère, mais plus encore pour ce qu’elle autorise : l’aborder comme
un matériau brut doté de mémoire, de réactions inattendues et de chaînage des théories
antagonistes qui s’y mêlent et s’y refusent…
Le recours dans son oeuvre à l’homéophatie est symptomatique de son intérêt pour les
puissances invisibles, potentielles voire infinitésimales.
Il produit alors des séries de pièces en granules homéopathiques (forme sophistiquée
d’orfèvrerie) qu’il dynamise en de savantes constructions de jardins-labyrinthes.
L’artiste reprend délibérément le tracé des jardins royaux pour provoquer notre univers mental,
notre lexique formel et historique, mais aussi pour renforcer notre dépendance vis à vis de son
goût immodéré pour la perspective.
Dans un même mouvement, il mélange allègrement les techniques céramiques propres à la
pharmacopée avec celles de la jardinerie. Foutue pagaille ou sens inné de l’équilibre et de la
dérision?
Les infléchissements sémantiques qu’il provoque sont certes labyrinthiques, mais ils n’en sont
pas moins jubilatoires, comme la technique subtile et maniaque qu’il développe pour décider
des champs de contamination qu’il veut déployer pour nous subvertir à ses inquiétudes
ontologiques et parasiter définitivement jusqu’à notre sommeil.
Jean-Michel Petit choisit toujours un point de vue perspectif sur l’histoire de l’art, ouvrir
l’oeuvre tout en gardant un oeil sur le miroir pour éviter de se faire assassiner pour plagiat,
copie ou plus vulgairement encore pour citation.
À fréquenter les oeuvres et la pensée d’hommes qui ont fondé ou parcouru la totalité de la
culture occidentale, Jean-Michel Petit a pris quelques défauts : celui de les tutoyer la nuit dans
ses rêves étant certainement le plus pardonnable de ses travers, par contre revisiter leurs
oeuvres, les peintures les plus fameuses de la renaissance ne laisse aucun doute sur sa double
personnalité : maniacopersécutrice et profondément anxiocriminogène.
Chr
Pour faire le portrait de l'artiste


Entendre d'abord un désir
comme une petite musique de nuit
Remarquer ensuite
quelque chose de personnel
quelque chose de fragile
quelque chose d'ambitieux
quelque chose d'inconnu
de l'artiste
Passer ensuite du temps avec lui
dans son atelier
dans sa cuisine
à l'improviste
en ayant rendez-vous
Attendre
lui parler
rire
l'écouter
boire un coup
Voir le chemin, la démarche ; derrière le rire, l'exigence
Parfois la vraie rencontre avec lui, avec son œuvre, arrive vite
Parfois il faut une exposition, un livre, un travail particulier
quelques années
Etre prêt
Regarder
Attendre
Quand l'œuvre se lève comme disaient les Goncourt des peintures de Chardin
Observer le plus profond silence
Etre heureux, le montrer
En parler à d'autres
l'aider dans des projets, des commandes
Soutenir sa création
Quand votre conviction est réelle, quand votre soutien est constant
quand votre présence est légère
Il s'en rend compte
Il continue
une autre œuvre voit le jour
et il y écrit son nom


A Jean-Michel Petit
Nane Tissot
23 mars 2009
Inspiré de Jacques Prévert, Pour faire le portrait d'un oiseau in Paroles, Gallimard, 1949

istian GAUSSEN

Textes en anglais